Les méfaits sexuels du clergé, un vice systémique

Ne nous trompons pas sur l’importance de la crise en cours.
Les faits sont énormes (nature, nombre et durée des méfaits perpétrés par des religieux couverts par la hiérarchie catholique) et ceux qu’on tient aujourd’hui pour établis sont manifestement peu de choses par rapport à ceux qui restent à exhumer.

Voir ci-après...
1. Statement of Catholic Theologians, Educators, Parishioners, and Lay Leaders On Clergy Sexual Abuse in the United States
2. Lettre du Pape François au Peuple de Dieu
3. The Grand Jury Report
4. This Church is a Criminal Enterprise
Les deux premiers textes sont superbes.Ils n'effacent rien des affligeants témoignages qui suivent et qui, en vérité, les ont déclenchés.

Les dégâts, pour les victimes, sont irréparables quelle que soient la reconnaissance et les compensations qu’ils pourraient obtenir.
Quand à l’institution ecclésiale enfin, sa ruine est en vue : désaffection des croyants, chute des vocations, abandons de poste, charge écrasante des réparations.
Pour l’Église elle-même, pourtant, il y a plus grave encore : la mise en cause du principe d’autorité qui la fonde en tant qu’institution. Continuer la lecture de « Les méfaits sexuels du clergé, un vice systémique »

The Nobel Peace Prize should go to Wikipedia…

either directly, to acknowledge the exceptional contribution of that collective movement,
or indirectly through its founder (Jimmy Wales) or co-founders (Jimmy Wales and Larry Sanger).
No need to say more if you have any idea about what is and should be the Nobel Peace Prize and Wikipedia. Continuer la lecture de « The Nobel Peace Prize should go to Wikipedia… »

Les USA ont tout ce qu’il faut pour prévaloir mais, relativement, ils pèsent moins

Les dépenses d’armement des USA impressionnent mais, par rapport au reste du monde, elles baissent (80% en 1949, 65% en 1959, 62% en 1969, 38% en 1979, 35% en 1989, 39% en 1999, avec un pic à 44% en 2002-2006, et 36% en 2017) alors que, depuis 30 ans, leur part dans la production (ou la captation) de richesses stationne aux alentours de 25%

width= Continuer la lecture de « Les USA ont tout ce qu’il faut pour prévaloir mais, relativement, ils pèsent moins »

Être un écrivain (Jean Rouaud)

width=Jean Rouaud a derrière lui un prix Goncourt : Les Champs d’honneur, que j’avais aimé à sa sortie et depuis, toute une œuvre, dont j’ai découvert l’existence en voyant ce nom que je reconnaissais en tête d’un livre intitulé Être un écrivain.
Le « Du même auteur » m’a signalé cinq « livres des morts » dont Les Champs d’honneur, quatre « déposition du roman », quatre « vie poétique » dont le Être un écrivain que je tenais dans les mains, sans parler que quelques « marginalia », de deux « théâtre » et quelques « bandes dessinées / livres pour la jeunesse ».
Grande production donc. J’en avais tout ignoré.

Un écrivain, Jean Rouaud en est un, en même temps que (je peux le dire maintenant) un maître d’écriture. Il nous parle amicalement, avec une modestie célinienne allégée par l’autodérision, il étend ses digressions sur le fil joueur de longues périodes proustiennes qui tiennent en haleine jusqu’à la surprise finale, très préparée. L’effet est garanti.
On se demande au début où il va mais le premier coup de théâtre vaut promesse. Il surgit ici dès la quatrième page. Pour le lecteur, ça suffit. Rouaud est un bateleur. Dès cet instant, on mise sur lui et l’on s’amuse de ses équilibrismes en se demandant comment ce chat va s’y prendre pour retomber à l’endroit. Continuer la lecture de « Être un écrivain (Jean Rouaud) »

toto

Donc fasciste, la langue, complice de la propagande bourgeoise, mais curieusement l’accusation n’avait pas réclamé sa mise à mort quand il eût été logique de la faire monter sur l’échafaud à la suite du roman et de l’auteur, tous deux émanation de la classe dominante honnie. Sans doute que le procureur avait compris qu’en l’envoyant à la mort il se privait lui-même de son arme fatale. Toujours cette histoire de la scie, de la branche et de l’arbre. On se proposait plutôt de la rééduquer idéologiquement par le camp de travail, l’obligeant à relever poétiquement le mode d’emploi de la chignole, la recette du riz pilaf ou la composition d’un comprimé pharmaceutique. Au nom de quoi avait-on décidé que Le Bateau ivre était supérieur à la liste des courses, sinon au nom de la propagande bourgeoise ? La littérature était invitée à réapprendre l’humilité, comme les lettrés dans les campagnes chinoises brouettaient du lisier pour se purger des miasmes de la pensée droitière confucéenne. Nettoyée de ses ferments fascistes, la langue pouvait servir encore, brique primitive de la reconstruction révolutionnaire et radieuse sur la table rase du passé. À une condition, bien sûr : pas d’histoire, hein ? Car l’histoire, on a beau faire, c’est toujours se retourner. Et se retourner, c’est le geste réactionnaire par excellence.

Jules Ferry (28 juillet 1885) – La politique coloniale

Depuis le début des années 1880, la France cherche à coloniser de nouveaux territoires. La Tunisie, en 1881, l’Annam en 1883 et le Tonkin en 1885 deviennent des protectorats français. La séance parlementaire du 28 juillet 1885 est consacrée à la discussion d’un projet de crédits extraordinaires pour financer une expédition à Madagascar où la France tente d’imposer son protectorat.
Jules Ferry, ancien maire et député de Paris, est le porte-parole de cette nouvelle politique de conquête coloniale et défend dans ce discours, face à un adversaire de taille qu’est George Clemenceau, les bienfaits économiques, humanitaires et stratégiques du colonialisme.

    Source: http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/jules-ferry-28-juillet-1885

M. Jules Ferry. Messieurs, je suis confus de faire un appel aussi prolongé à l’attention bienveillante de la Chambre, mais je ne crois pas remplir à cette tribune une tâche inutile. Elle est laborieuse pour moi comme pour vous, mais il y a, je crois, quelque intérêt à résumer et à condenser, sous forme d’arguments, les principes, les mobiles, les intérêts divers qui justifient la politique d’expansion coloniale, bien entendu, sage, modérée et ne perdant jamais de vue les grands intérêts continentaux qui sont les premiers intérêts de ce pays.
Je disais, pour appuyer cette proposition, à savoir qu’en fait, comme on le dit, la politique d’expansion coloniale est un système politique et économique, je disais qu’on pouvait rattacher ce système à trois ordres d’idées ; à des idées économiques, à des idées de civilisation de la plus haute portée et à des idées d’ordre politique et patriotique.
Sur le terrain économique, je me suis permis de placer devant vous, en les appuyant de quelques chiffres, les considérations qui justifient la politique d’expansion coloniale au point de vue de ce besoin de plus en plus impérieusement senti par les populations industrielles de l’Europe et particulièrement de notre riche et laborieux pays de France,le besoin de débouchés.
Est-ce que c’est quelque chose de chimérique ? est-ce que c’est une vue d’avenir, ou bien n’est-ce pas un besoin pressant, et on peut dire le cri de notre population industrielle ? Je ne fais que formuler d’une manière générale ce que chacun de vous, dans les différentes parties de la France, est en situation de constater.

Oui, ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigé dans la voie de l’exportation, ce qui lui manque de plus en plus ce sont les débouchés.
Pourquoi ? parce qu’à côté d’elle l’Allemagne se couvre de barrières, parce que au-delà de l’océan les États-Unis d’Amérique sont devenus protectionnistes et protectionnistes à outrance ; parce que non seulement ces grands marchés, je ne dis pas se ferment, mais se rétrécissent, deviennent de plus en plus difficiles à atteindre par nos produits industriels parce que ces grands États commencent à verser sur nos propres marchés des produits qu’on n’y voyait pas autrefois. Ce n’est pas une vérité seulement pour l’agriculture, qui a été si cruellement éprouvée et pour laquelle la concurrence n’est plus limitée à ce cercle des grands États européens pour lesquels avaient été édifiées les anciennes théories économiques ; aujourd’hui, vous ne l’ignorez pas, la concurrence, la loi de l’offre et de la demande, la liberté des échanges, l’influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s’étend jusqu’aux extrémités du monde.(Très bien ! très bien !)
C’est là une grande complication, une grande difficulté économique.
[…]
C’est là un problème extrêmement grave.
Il est si grave, messieurs, si palpitant, que les gens moins avisés sont condamnés à déjà entrevoir, à prévoir et se pourvoir pour l’époque où ce grand marché de l’Amérique du Sud, qui nous appartenait de temps en quelque sorte immémorial, nous sera disputé et peut-être enlevé par les produits de l’Amérique du Nord. Il n’y a rien de plus sérieux, il n’y a pas de problème social plus grave ; or, ce programme est intimement lié à la politique coloniale.
[…]
Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question.
Sur ce point, l’honorable M. Camille Pelletan raille beaucoup, avec l’esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne, et il dit : Qu’est ce que c’est que cette civilisation qu’on impose à coups de canon ? Qu’est-ce sinon une autre forme de la barbarie ? Est-ce que ces populations de race inférieure n’ont pas autant de droits que vous ? Est-ce qu’elles ne sont pas maîtresses chez elles ? Est-ce qu’elles vous appellent ? Vous allez chez elles contre leur gré ; vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas.
Voilà, messieurs, la thèse ; je n’hésite pas à dire que ce n’est pas de la politique, cela, ni de l’histoire : c’est de la métaphysique politique… (Ah ! ah ! à l’extrême gauche.)

Voix à gauche. Parfaitement !

M. Jules Ferry. et je vous défie – permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan -, de soutenir jusqu’au bout votre thèse, qui repose sur l’égalité, la liberté, l’indépendance des races inférieures. Vous ne la soutiendrez pas jusqu’au bout, car vous êtes, comme votre honorable collègue et ami M. Georges Perin, le partisan de l’expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce.
[…]
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… (Rumeurs sur plusieurs bancs à l’extrême gauche.)

M. Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l’homme !

M. de Guilloutet. C’est la justification de l’esclavage et de la traite des nègres !

M. Jules Ferry. Si l’honorable M. Maigne a raison, si la déclaration des droits de l’homme a été écrite pour les noirs de l’Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas ! (Interruptions à l’extrême gauche et à droite. – Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)

M. Raoul Duval. Nous ne voulons pas les leur imposer ! C’est vous qui les leur imposez !

M. Jules Maigne. Proposer et imposer sont choses fort différentes !

M. Georges Périn. Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés !

M. Jules Ferry. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… (Marques d’approbation surles mêmes bancs à gauche – Nouvelles interruptions à l’extrême gauche et à droite.)

M. Joseph Fabre. C’est excessif ! Vous aboutissez ainsi à l’abdication des principes de 1789 et de 1848… (Bruit), à la consécration de la loi de grâce remplaçant la loi de justice.

M. Vernhes. Alors les missionnaires ont aussi leur droit ! Ne leur reprochez donc pas d’en user ! (Bruit.)

M. le président. N’interrompez pas, monsieur Vernhes !

M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures…

M. Vernhes. Protégez les missionnaires, alors ! (Très bien ! à droite.)

Voix à gauche. N’interrompez donc pas !

M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures ont des devoirs…

M. Vernhes. Allons donc !

M. Jules Ferry. Ces devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. (Très bien ! très bien !) Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquit­tent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation.

M. Paul Bert. La France l’a toujours fait !

M. Jules Ferry. Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu’un peut nier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre matériel et moral, plus d’équité, plus de vertus sociales dans l’Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions oeuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de nier que, dans l’Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se rencontrent dans l’histoire de cette conquête, il y a aujourd’hui infiniment plus de justice, plus de lumière, d’ordre, de vertus publiques et privées depuis la conquête anglaise qu’auparavant ?

M. Clemenceau. C’est très douteux !

M. Georges Périn. Rappelez-vous donc le discours de Burke !

M. Jules Ferry. Est-ce qu’il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l’Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s’est imposée, que l’Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire le droit positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les gouvernements, n’est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l’esclavage, cette infamie. (Vives marques d’approbation sur divers bancs.)
[…]
M. Jules Ferry. Voilà ce que j’ai à répondre à l’honorable M. Pelletan sur le second point qu’il a touché.

Il est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la permission de m’expliquer en toute franchise. C’est le côté politique de la question.
[…]
Messieurs, dans l’Europe telle qu’elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d’une population incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou d’abstention, c’est tout simplement le grand chemin de la décadence !
Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent ; ce n’est pas « par le rayonnement des institutions »… (Interruptions à gauche el à droite) qu’elles sont grandes, à l’heure qu’il est.

M. Paul de Cassagnac. Nous nous en souviendrons, c’est l’apologie de la guerre !

M. de Baudry d’Asson. Très bien ! la République, c’est la guerre. Nous ferons imprimer votre discours à nos frais et nous le répandrons dans toutes les communes de nos circonscriptions.

M. Jules Ferry. Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c’est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs. – Très bien ! très bien ! au centre.) Je ne puis pas, messieurs, et personne, j’imagine, ne peut envisager une pareille destinée pour notre pays.
Il faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous les autres, et, puisque la politique d’expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l’heure qu’il est toutes les puissances européennes, il faut qu’il en prenne son parti, autrement il arrivera… oh ! pas à nous qui ne verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos petits-fils ! il arrivera ce qui est advenu à d’autres nations qui ont joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent aujourd’hui, quelque puissantes, quelque grandes qu’elles aient été descendues au troisième ou au quatrième rang. (Interruptions.)
Aujourd’hui la question est très bien posée : le rejet des crédits qui vous sont soumis, c’est la politique d’abdication proclamée et décidée. (Non ! non !) Je sais bien que vous ne la voterez pas, cette politique, je sais très bien aussi que la France vous applaudira de ne pas l’avoir votée ; le corps électoral devant lequel vous allez rendre n’est pas plus que nous partisan de la politique de l’abdication ; allez bravement devant lui, dites-lui ce que vous avez fait, ne plaidez pas les circonstances atténuantes ! (Exclamations à droite et à l’extrême gauche. – Applaudissements à gauche et au centre.) … dites que vous avez voulu une France grande en toutes choses…

Un membre. Pas par la conquête !

M. Jules Ferry. … grande par les arts de la paix, comme par la politique coloniale, dites cela au corps électoral, et il vous comprendra.

M. Raoul Duval. Le pays, vous l’avez conduit à la défaite et à la banqueroute.

M. Jules Ferry. Quant à moi, je comprends à merveille que les partis monarchiques s’indignent de voir la République française suivre une politique qui ne se renferme pas dans cet idéal de modestie, de réserve, et, si vous me permettez l’expression, de pot-au-feu… (Interruptions et rires à droite) que les représentants des monarchies déchues voudraient imposer à la France. (Applaudissements au centre.)

M. le baron Dufour. C’est un langage de maître d’hôtel que vous tenez là.

M. Paul de Cassagnac. Les électeurs préfèrent le pot-au-feu au pain que vous leur avez donné pendant le siège, sachez-le bien !

M. Jules Ferry. Je connais votre langage, j’ai lu vos journaux… Oh ! l’on ne se cache pas pour nous le dire, on ne nous le dissimule pas : les partisans des monarchies déchues estiment qu’une politique grande, ayant de la suite, qu’une politique capable de vastes desseins et de grandes pensées, est l’apanage de la monarchie, que le gouvernement démocratique, au contraire, est un gouvernement qui rabaisse toutes choses…

M. de Baudry d’Asson. C’est très vrai !

M. Jules Ferry. Eh bien, lorsque les républicains sont arrivés aux affaires, en 1879, lorsque le parti républicain a pris dans toute sa liberté le gouvernement et la responsabilité des affaires publiques, il a tenu à donner un démenti à cette lugubre prophétie, et il a montré, dans tout ce qu’il a entrepris…

M. de Saint-Martin. Le résultat en est beau !

M. Calla. Le déficit et la faillite !

M. Jules Ferry. …aussi bien dans les travaux publics et dans la construction des écoles… (Applaudissements au centre et à gauche), que dans sa politique d’extension coloniale, qu’il avait le sentiment de la grandeur de la France. (Nouveaux applaudissements au centre et à gauche.)
Il a montré qu’il comprenait bien qu’on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine, qu’il faut autre chose à la France : qu’elle ne peut pas être seulement un pays libre, qu’elle doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, qu’elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses moeurs, son drapeau, ses armes, son génie. (Applaudissements au centre et à gauche.)
Quand vous direz cela au pays, messieurs, comme c’est l’ensemble de cette oeuvre, comme c’est la grandeur de cette conception qu’on attaque, comme c’est toujours le même procès qu’on instruit contre vous, aussi bien quand il s’agit d’écoles et de travaux publics que quand il s’agit de politique coloniale, quand vous direz à vos électeurs : « Voilà ce que nous avons voulu faire » soyez tranquilles, vos électeurs vous entendront, et le pays sera avec vous, car la France n’a jamais tenu rigueur à ceux qui ont voulu sa grandeur matérielle, morale et intellectuelle (Bravos prolongés à gauche et au centre. – Double salve d’applaudissements – L’orateur en retournant à son banc reçoit les félicitations de ses collègues.)

Zola

Source : http://www.cahiers-naturalistes.com/Salons/23-05-81.html

Émile Zola. Après une promenade au Salon 1881

Le Figaro,  le 23 mai 1881

Les peintres sont heureux, ils ont le Salon. Chaque printemps, ils peuvent s’y faire connaître du public ou se rappeler à son souvenir, montrer leurs progrès, rester en communion constante avec leurs admirateurs. Songez à nos écrivains, aux romanciers par exemple, pour lesquels rien de pareil n’existe ni ne peut exister. Un peintre qui a du talent est populaire dès son premier tableau exposé. Un romancier met souvent des années de production, un entassement de volumes, à conquérir péniblement une célébrité égale.

Le public me paraît également tirer un bon profit des Salons annuels. À mesure que les expositions sont sorties du cercle étroit de notre Académie de peinture, la foule a augmenté dans les salles. Autrefois, quelques curieux seuls se hasardaient. Maintenant, c’est tout un peuple qui entre. On a évalué le nombre des visiteurs à quatre cent mille. C’est la vraie foule qui y circule, des bourgeois, des ouvriers, des paysans, les ignorants, les badauds, les promeneurs de la rue, venus là une heure ou deux pour tuer le temps. L’habitude est prise, un large courant s’est établi, le Salon a passé dans les mœurs parisiennes comme les revues et les courses.

Certes, je ne prétends pas que cette cohue apporte là un sentiment artistique quelconque, un jugement sérieux des œuvres exposées. Les boutiquières en robe de soie, les ouvriers en veste et en chapeau rond, regardent les tableaux accrochés aux murs, comme les enfants regardent les images d’un livre d’étrennes. Ils ne cherchent que le sujet, l’intérêt de la scène, l’amusement du regard, sans s’arrêter le moins du monde aux qualités de la peinture, sans se douter même du talent des artistes. Mais il n’y en a pas moins là une lente éducation de la foule. On ne se promène pas au milieu d’œuvres d’art, sans emporter un peu d’art en soi. L’œil se fait, l’esprit apprend à juger. Cela vaut toujours mieux que les autres distractions du dimanche, les tirs au pistolet, les jeux de quilles et les feux d’artifice.

Je sors du Salon et j’ai le besoin de dire mon sentiment sur notre école de peinture actuelle. Ce seront des idées générales, une étude d’ensemble, car le Salon de cette année n’est plus à faire au Figaro, puisque mon collaborateur Albert Wolff s’en est occupé, avec sa grande compétence et son esprit habituel.

Les maîtres sont morts. Voici déjà des années qu’Ingres et Delacroix ont laissé l’art en deuil. Courbet a perdu son talent et sa vie dans la crise imbécile de la Commune. Théodore Rousseau, Millet, Corot se sont suivis coup sur coup dans la tombe. En quelques années, notre école moderne a été comme décapitée. Aujourd’hui, les élèves seuls demeurent.

Notre peinture française n’en vit pas moins avec une prodigalité de talent extraordinaire. Si le génie manque, nous avons la monnaie du génie, une habileté de facture sans pareille, un esprit de tous les diables, une science surprenante, une facilité d’imitation incroyable. Et c’est pourquoi l’école française reste la première du monde ; non pas, je le répète, qu’elle ait un grand nom à mettre en avant; mais parce qu’elle possède des qualités de charme, de variété, de souplesse, qui la rendent sans rivale. La tradition, le convenu, le pastiche de toutes les écoles semblent même ajouter à sa gloire. Nous avons à cette heure des Rubens, des Véronèse, des Vélasquez, des Goya, petits-fils très adroits, qui, sans grande originalité personnelle, n’en donnent pas moins à nos expositions un accent d’individualité très curieux. La France, en peinture, est en train de battre toutes les nations avec les armes qu’elle emprunte à leurs grands peintres de jadis. Un des caractères les plus nets du moment artistique que nous traversons, est donc l’anarchie complète des tendances.

Les maîtres morts, les élèves n’ont songé qu’à se mettre en république. Le mouvement romantique avait ébranlé l’Académie, le mouvement réaliste l’a achevée. Maintenant, l’Académie est par terre. Elle n’a pas disparu ; elle s’est entêtée, et vit à part, ajoutant une note fausse à toutes les notes nouvelles qui tentent de s’imposer. Imaginez la cacophonie la plus absolue, un orchestre dont chaque instrumentiste voudrait jouer un solo en un ton différent. De là, nos Salons annuels.

Il s’agit avant tout de se faire entendre du public ; on souffle le plus fort possible, quitte à crever l’instrument; puis, pour mieux piquer la curiosité, on s’arrange un tempérament, surtout lorsqu’on n’en a pas, on se risque dans l’étrange, on se voue à une résurrection du passé ou à quelque spécialité bien voyante. Chacun pour soi, telle est la devise. Plus de dictateurs de l’art, une foule de tribuns tâchant d’entraîner le public devant leurs œuvres. Et c’est ainsi que notre école actuelle – je dis école parce que je ne trouve pas d’autre mot – est devenue une Babel de l’art, où chaque artiste veut parler sa langue et se pose en personnalité unique.

J’avoue que ce spectacle m’intéresse fort. Il y a là une production infatigable, un effort sans cesse renouvelé qui a sa grandeur. Cette bataille ardente entre des talents qui rêvent tous la dictature, c’est le labeur moderne en quête de la vérité. Certes, je regrette le génie absent; mais je me console un peu en voyant avec quelle âpreté nos peintres tâchent de se hausser jusqu’au génie.

Il faut songer aussi que l’esprit humain subit une crise, que les anciennes formules sont mortes, que l’idéal change. Et cela explique l’effarement de nos artistes, leur recherche fiévreuse d’une interprétation nouvelle de la nature. Tout a été bouleversé depuis le commencement du siècle par les méthodes positives, la science, l’histoire, la politique, les lettres. À son tour, la peinture est emportée dans l’irrésistible courant. Nos peintres font leur révolution.

À aucune époque, je crois, ils n’ont été si nombreux en France ; je parle des peintres connus, dont les toiles ont une valeur courante sur le marché. Jamais non plus la peinture ne s’est vendue plus cher. Ajoutez que beaucoup d’artistes travaillent pour l’exportation ; j’en connais dont tous les tableaux filent sur l’Angleterre et sur l’Amérique, où ils atteignent de très hauts prix, lorsqu’on les ignore absolument en France. Cela rentre dans l’article de Paris ; nous fournissons le monde de tableaux, comme nous l’inondons de nos modes et de babioles. Il y a d’ailleurs chez nous une consommation à laquelle il faut suffire. Les peintres deviennent dès lors des ouvriers d’un genre supérieur qui achèvent la décoration des appartements commencée par les tapissiers. Peu de personnes ont des galeries ; mais il n’est pas un bourgeois à son aise qui ne possède quelques beaux cadres dans son salon, avec de la peinture quelconque pour les emplir.

Et le fait a son importance. C’est cet engouement, cette tendresse des petits et des grands enfants pour les images peintes, qui explique le flot montant des œuvres exposées chaque année au Salon, leur médiocrité, leur variété, le tohu-bohu de leurs caprices. Au-dessous de l’effort superbe d’une génération artistique qui cherche sa voie et qui s’insurge contre les conventions démodées, il y a le trafic très actif d’une foule d’ouvriers adroits flattant le public et le gorgeant des douceurs qu’il aime, pour en tirer le plus de succès et le plus d’argent possible. Enfin, si l’on veut posséder tout notre art actuel, il faut ajouter les préoccupations littéraires que le romantisme a introduites dans la peinture.

Autrefois, dans les écoles de la Renaissance, un beau morceau de nu suffisait; les sujets très restreints, presque tous religieux ou mythologiques, n’étaient que des prétextes à une facture magistrale. Je dirai même que, l’idée étant l’ennemie du fait, les peintres peignaient plus qu’ils ne pensaient.

Nous avons changé tout cela. Nos peintres ont voulu écrire des pages d’épopée et des pages de comédie. Le sujet est devenu la grande affaire. Les maîtres, Ingres et Delacroix, par exemple, ont encore su se tenir dans le monde matériel du dessin et de la couleur. Mais les extatiques, les Ary Scheffer et tant d’autres, se sont perdus dans une quintessence qui les a menés droit à la négation même de la peinture. De là, nous sommes tombés aux petits peintres de genre, nous nous noyons dans l’anecdote, le couplet, l’histoire aimable qui se chuchote avec un sourire. On dirait feuilleter un journal illustré. Il n’y a plus que des images, des bouts d’idée agréablement mis en scène. La littérature a tout envahi, je dis la basse littérature, le fait divers, le mot de journal. Souvent nos petits peintres ne sont plus que des conteurs qui tâchent de nous intéresser par des imaginations de reporters aux abois.

Allez au Salon. Une promenade d’une heure suffit pour montrer cet embourgeoisement de l’art. Ce ne sont partout que des toiles dont les dimensions sont calculées de façon à tenir dans un panneau de nos étroites pièces modernes. Les portraits et les paysages dominent, parce qu’ils sont d’une vente courante. Ensuite viennent les petits tableaux de genre, dont notre bourgeoisie et l’étranger font une consommation énorme. Quant à ce qu’on nomme la grande peinture, peinture historique ou religieuse, elle disparaît un peu chaque année, elle n’est soutenue que par les commandes du gouvernement et les traditions de l’École des beaux-arts. Généralement, quand nos artistes ne font pas très petit pour vendre, ils font très grand pour stupéfier.

Et il faut voir le public au milieu de ces milliers d’œuvres ! Il donne malheureusement raison aux efforts fâcheux que les artistes tentent pour lui plaire. Il s’arrête devant les poupées bien mises, les scènes attendrissantes ou comiques, les excentricités qui tirent l’œil. Il est touché par des qualités d’à-peu-près ; surtout le faux le ravit. Rien n’est plus instructif à entendre que les observations, les critiques, les éloges de ce grand enfant de public, qui se fâche devant les œuvres originales et se pâme en face des médiocrités auxquelles son œil est accoutumé. L’éducation de la foule, cette éducation dont j’ai parlé, sera longue, hélas !

Le pis est qu’il y a, entre les peintres et le public, une démoralisation artistique, dont la responsabilité est difficile à déterminer. Sont-ce les peintres qui habituent le public à la peinture de pacotille et lui gâtent le goût. Ou est-ce le public qui exige des peintres cette production inférieure, cet amas de choses vulgaires ? N’importe, l’enfantement continu auquel nous assistons, s’il met au jour bien des œuvres médiocres, n’en est pas moins une preuve de puissance. Il est beau, au lendemain de nos désastres, au milieu de nos bousculades politiques, de donner au monde la preuve d’une telle vitalité dans notre production artistique.

J’ajoute que l’anarchie de l’art, à notre époque, ne me paraît pas une agonie, mais plutôt une naissance. Nos peintres cherchent, même d’une façon inconsciente, la nouvelle formule, la formule naturaliste, qui aidera à dégager la beauté particulière à notre siècle. Les paysagistes ont marché en avant, comme cela devait être ; ils sont en contact direct avec la nature, ils ont pu imposer à la foule des arbres vrais, après une bataille d’une vingtaine d’années, ce qui est une misère lorsqu’on songe aux lenteurs de l’esprit humain.

Maintenant, il reste à opérer une révolution semblable dans le tableau de figures. Mais là, c’est à peine si la lutte s’engage, et il faudra peut-être encore toute la fin du siècle.

Courbet, qui restera comme le maître le plus solide et le plus logique de notre époque, a ouvert la voie à coups de cognée. Édouard Manet est venu ensuite avec son talent si personnel ; puis, voici la campagne des impressionnistes, que l’on plaisante, mais dont l’influence grandit chaque jour, enfin, des révoltés de l’École des beaux-arts, Gervex, Bastien-Lepage, Butin, Duez, sont passés dans le camp des modernes et semblent vouloir se mettre à la tête du mouvement. Un symptôme caractéristique est l’aspect même du Salon qui se modifie. Chaque année, je constate que les femmes nues, les Vénus, les Èves et les Aurores, tout le bric-à-brac de l’histoire et de la mythologie, les sujets classiques de tous genres, deviennent plus rares, paraissent se fondre, pour faire place à des tableaux de la vie contemporaine, où l’on trouve nos femmes avec leurs toilettes, nos bourgeois, nos ouvriers, nos demeures et nos rues, nos usines et nos campagnes, toutes chaudes de notre vie. C’est la victoire prochaine du naturalisme dans notre école de peinture.

Il ne reste plus à attendre qu’un peintre de génie, dont la poigne soit assez forte pour imposer la réalité. Le génie seul est souverain en art. Je ne crois pas au vrai uniquement pour et par le vrai. Je crois à un tempérament qui, dans notre école de peinture, mettra debout le monde contemporain, en lui soufflant la vie de son haleine créatrice.