Lorsque Sieyès en 1789 observe que « nous sommes forcés de ne voir, dans la plus grande partie des hommes, que des machines de travail », il le fait en parfaite continuité avec « les pères fondateurs » (dans notre tradition) de l’idée de « démocratie ». À Athènes, la décision politique est débattue directement entre les seuls citoyens, c’est-à-dire entre ceux qui, statutairement et matériellement libérés des contraintes quotidiennes par le travail des esclaves, sont ouverts à la connaissance et aptes à l’exprimer.
Barbara Ehrenreich vient de mourir à 81 ans. Généreuse militante, chroniqueuse originale et profonde, ceux qui rapportent sa mort mettent l’accent sur les grandes causes (femmes, inégalités, politiques de santé, idéologies de la classe moyenne…) auxquelles son nom est désormais attaché.
Depuis, je ne cesse de me référer à Barbara Ehrenreich…
Toutes nos traditions, toutes nos institutions, toutes nos croyances, portent la marque de l’effroi ressenti par nos ancêtres archaïques devant les prédateurs souverains face auxquels l’humanité, pour survivre, a dû s’imaginer.
35 millions de personnes déplacées, des milliers de morts, la destruction massive des champs et du bétail, la famine et les épidémies à venir, ne seront pas surmontées sans repenser profondément les systèmes mis en avant par les « pays du Nord ». Comme partout ailleurs, le jeu de la dette a enrichi les élites locales pour les asservir aux intérêts des États-Unis pendant la guerre froide, puis la guerre au terrorisme. C’est ensuite aux pauvres qu’on demande de rembourser cette dette dans le cadre du plan d’austérité imposé par le Fonds Monétaire International. Le Pakistan est aux abois.
Puissances et puissants n’oublieront certes pas qu’il détient l’arme atomique. Leurs intentions ne bénéficieront donc durablement qu’aux affairistes de l’aristocratie, de l’immobilier et de l’armée.
Voyons plutôt qu’une catastrophe de cette ampleur peut donner le départ à l’élaboration collective d’un ordre international alternatif qui traiterait sérieusement des questions posées par l’histoire mondiale des injustices, de l’impérialisme et du capitalisme. Une telle perspective associerait les initiatives de ceux qui, au Nord de la planète, combattent le militarisme, le nationalisme et l’addiction aux énergies fossiles, avec celles de ceux qui, au Sud, combattent l’exploitation par les élites locales, les pays étrangers, et les institutions financières internationales.
En d’autres termes, plutôt que de s’en tenir à de très limitées et temporaires initiatives humanitaires, il est ici question de prendre appui sur les contradictions du présent pour imaginer et construire un autre avenir pour tous, qui soit durable, solidaire et audacieux.
Une « eunomie » (« bon ordre ») internationale aurait dit Solon.