Depuis l’Antiquité, nous devrions savoir que la notion de « dette », comme tant d’autres, est caduque dès qu’on l’étend au-delà de l’instant et du proche. Pourtant, la tentation est grande de la projeter au-delà des réciprocités immédiates dont elle est une composante essentielle. Pauvres et personnes éduquées sont bien conscients des perversités d’une telle extension, mais ils résistent « naïvement » à l’idée d’en nier le principe : il faut payer ses dettes.
Pourquoi ce principe est-il « naïf » ?
Parce que nous anticipons l’inconnu en y projetant du connu et que, pour décrypter les ignorances qui nous inquiètent, nous bricolons des hypothèses à partir de l’expérience acquise. On ne saurait faire autrement mais voici le problème : si elles échouent, nous faisons de notre mieux pour les maintenir au prix de corrections qui en préservent l’essentiel.
« Qui aurait imaginé à cet instant, que, pensant sortir avec beaucoup de difficultés d’une épidémie planétaire, nous aurions à affronter en quelques semaines, d’inimaginables défis : la guerre revenue sur le sol européen après l’agression russe jetant son dévolu sur l’Ukraine et sa démocratie ; des dizaines, peut-être des centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, une effroyable crise énergétique, une crise alimentaire menaçante, l’invocation des pires menaces, y compris nucléaires ? Qui aurait pu prédire la vague d’inflation, ainsi déclenchée ? Ou la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? »
Enregistrement des vœux 2023 d’Emmanuel Macron ( de 1’56’’ à 2’34’’)
Ces « inimaginables défis », listés en une minute et demie, sont surtout d’« inimaginables mensonges ».
Pourquoi ? Parce qu’ils sont directement contraires à des faits aujourd’hui connus de tous. Et pourquoi les relever ? Parce qu’ils sont criminels.
Le retour de la guerre sur le sol européen est criminel, cela va de soi, mais était-il inimaginable par les dirigeants et, particulièrement, par le président français ? Absolument pas !
Ballade de Boulat Okoudjava, interprétée par Régina Spektor.
À mes correspondants russophones, quelle que soit la nationalité dont on les affuble aujourd’hui et au nom de laquelle on les combat…
Chers tous,
Pour une fois dans votre langue, je découvre cette complainte de Boulat Okoudjava, que vous connaissez sûrement : elle existe sur Internet depuis au moins sept ans. Elle m’avait déjà été relayée dans le passé, à un moment où je n’avais pas pris le temps de m’y arrêter. [Merci à Pierre Cohen-Bacrie de me l’avoir redécouverte aujourd’hui].
Par la même occasion, je découvre l’existence de ce Boulat Okoudjava dont le douloureux et intelligent parcours me touche, et dont on me dit qu’il fut l’un des inspirateurs de Vladimir Vyssotski, le seul « barde » russe dont je connaisse déjà l’existence par le biais de la belle Marina Vlady.
J’y entends bien sûr toutes les misères du monde, à commencer par celles de l’ensemble russe, puis soviétique, ensuite « perestroïké » et désormais « poutinisé », soit tout l’Est européen, Ukraine comprise.
La guerre d’Ukraine a trop duré. Ce 11 novembre est un jour propice pour déclarer la paix. Comprenez-vous que c’est possible ?
Les États-Unis le savent
Le général Mark Milley, leur chef d’état-major, vient de le leur annoncer : « Il doit y avoir une reconnaissance mutuelle que la victoire militaire n’est probablement pas, au sens propre du terme, réalisable par des moyens militaires. Il faut donc se tourner vers d’autres moyens. Une occasion s’ouvre à la négociation. »
Le pays lui-même est dans une situation similaire : en politique intérieure, les élections de mi-mandat n’ont donné la victoire à personne et, à l’avant-garde du numérique, deux des entreprises extraordinaires de la dernière décennie (Facebook et Twitter) licencient massivement.
Latence aussi pour la Fédération de Russie…
qui vient d’abandonner Kherson pour se replier sur la rive orientale du Dniepr en préparation de la guerre d’hiver ou en attente de pourparlers sérieux.
Les Anciens vivaient dans un monde sans photos où les représentations étaient rares : quelques images, quelques statues, des mosaïques, des reliefs, des frises. La rencontre qu’on avait avec elles était exceptionnelle et ritualisée. Miraculeuse, elle découvrait ce que l’on n’avait jamais vu mais qu’on reconnaissait comme le premier portrait d’une personne aimée, révélation parce qu’ouverte à la contemplation alors que, jusque-là, cette image ne faisait que passer. L’artiste, en l’élevant hors du temps, la manifestait comme vérité vivante, inspiratrice de sentiments et d’idées, avènement solennel de beautés qui sont le secret du monde.
Sam Szafran, cet homme menacé dans son enfance par la persécution nazie, puis par la misère… a trouvé spirituellement et socialement son salut dans l’art et les fraternisations du Montparnasse d’après-guerre.
Peut-être aurait-il aimé la liberté ? Elle était hors de portée. Il choisit donc… la discipline des enfermements consentis, infiniment décrits et finalement aimés…
Le professeur Christian Peronne, spécialiste des pathologies tropicales et des maladies infectieuses émergentes, a donné une conférence ce 19 octobre à Strasbourg à l’invitation de quelques députés européens. Il analyse ce à quoi nous avons assisté depuis près de trois ans à propos du COVID 19.
Convaincu par sa critique (radicale) et ses propositions (de bon sens) en matière de santé publique, je relaie cette vidéo…
La chaine YouTube TROUBLE FAIT que je découvre (alors qu’elle existe depuis 2015) est excellente. Clarté d’esprit et d’exposé, organisation des arguments, pertinence des illustrations et des chiffres, légèreté du ton et fermeté des idées, tout y est.
Il y a un gros travail derrière, sérieux et vérifiable : le lien PLUS en-dessous de chaque vidéo donne accès à une « table des séquences » et à des liens vers les « sources », ce qui permet de sélectionner les séquences et arguments qu’on veut examiner en détail.
Sous le lien suivant, l’estimable Robert Reich montre que, face à des fauteurs de troubles comme Kanye West, Donald Trump et quelques autres, le public ne peut compter…
sur les géants médiatiques pour être socialement responsables,
pas plus que sur le droit (tranché aux USA par la Cour suprême) qui ne peut traiter ces géants que comme des gestionnaires de flux chargés d’un service public analogue aux autoroutes, donc non responsables de ce que leurs usagers font circuler ou des accidents qu’ils produisent,
et pas non plus sur l’appareil politique lui-même (gouvernement et élus) qui, toujours insécure et divisé, dépend de l’argent et des médias.
La boucle est bouclée. Le pouvoir détenu par les géants du numérique est incompatible avec les besoins de la société. La seule solution est de réactiver les lois anti-trust et de briser ces géants.
Aussi forte qu’elle paraisse, cette argumentation a deux faiblesses…
« En ce qui concerne la superstition du logicien, je ne me lasserai pas de souligner un petit fait bref que ces superstitieux répugnent à avouer, à savoir qu’une pensée vient quand elle veut, et non pas quand « je » veux ; c’est donc falsifier les faits que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ».
Lorsque Sieyès en 1789 observe que « nous sommes forcés de ne voir, dans la plus grande partie des hommes, que des machines de travail », il le fait en parfaite continuité avec « les pères fondateurs » (dans notre tradition) de l’idée de « démocratie ». À Athènes, la décision politique est débattue directement entre les seuls citoyens, c’est-à-dire entre ceux qui, statutairement et matériellement libérés des contraintes quotidiennes par le travail des esclaves, sont ouverts à la connaissance et aptes à l’exprimer.
Barbara Ehrenreich vient de mourir à 81 ans. Généreuse militante, chroniqueuse originale et profonde, ceux qui rapportent sa mort mettent l’accent sur les grandes causes (femmes, inégalités, politiques de santé, idéologies de la classe moyenne…) auxquelles son nom est désormais attaché.
Depuis, je ne cesse de me référer à Barbara Ehrenreich…
Toutes nos traditions, toutes nos institutions, toutes nos croyances, portent la marque de l’effroi ressenti par nos ancêtres archaïques devant les prédateurs souverains face auxquels l’humanité, pour survivre, a dû s’imaginer.
35 millions de personnes déplacées, des milliers de morts, la destruction massive des champs et du bétail, la famine et les épidémies à venir, ne seront pas surmontées sans repenser profondément les systèmes mis en avant par les « pays du Nord ». Comme partout ailleurs, le jeu de la dette a enrichi les élites locales pour les asservir aux intérêts des États-Unis pendant la guerre froide, puis la guerre au terrorisme. C’est ensuite aux pauvres qu’on demande de rembourser cette dette dans le cadre du plan d’austérité imposé par le Fonds Monétaire International. Le Pakistan est aux abois.
Puissances et puissants n’oublieront certes pas qu’il détient l’arme atomique. Leurs intentions ne bénéficieront donc durablement qu’aux affairistes de l’aristocratie, de l’immobilier et de l’armée.
Voyons plutôt qu’une catastrophe de cette ampleur peut donner le départ à l’élaboration collective d’un ordre international alternatif qui traiterait sérieusement des questions posées par l’histoire mondiale des injustices, de l’impérialisme et du capitalisme. Une telle perspective associerait les initiatives de ceux qui, au Nord de la planète, combattent le militarisme, le nationalisme et l’addiction aux énergies fossiles, avec celles de ceux qui, au Sud, combattent l’exploitation par les élites locales, les pays étrangers, et les institutions financières internationales.
En d’autres termes, plutôt que de s’en tenir à de très limitées et temporaires initiatives humanitaires, il est ici question de prendre appui sur les contradictions du présent pour imaginer et construire un autre avenir pour tous, qui soit durable, solidaire et audacieux.
Une « eunomie » (« bon ordre ») internationale aurait dit Solon.
Radio France engage un tournant environnemental : « NOUS NOUS TENONS RESOLUMENT DU COTE DE LA SCIENCE, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres. »
[Voir infra le Manifeste de radio France]
Je suis content de découvrir cette déclaration de politique éditoriale, elle a le mérite d’être claire et idéologiquement cohérente. Ailleurs, dans d’autres médias, on tient d’autres propos, l’on promeut d’autres croyances et se donne d’autres priorités. De telles « politiques » restent souvent implicites. Des initiés, le cas échéant, les affinent, les font évoluer mais leur « cela va sans dire » suffit pour manager une équipe rédactionnelle sans que le tribunal de l’opinion s’en saisisse.. Mérite additionnel de cette solution : elle permet de maintenir la fiction de l’indépendance des journalistes à l’égard des propriétaires du journal.
Donc merci à Radio France, chaîne de service public, d’exister et de faire connaître ses choix éditoriaux.
Ce parti pris de se situer « du côté de la science » est assez proche du mien pour que je continue à m’intéresser aux productions de Radio France.
En revanche, l’idée de « sortir la crise climatique du champ du débat » est une erreur, et ceci pour trois raisons : politique, scientifique et cognitive…
Dans un discours international en tant que Chef d’État, Biden a proclamé son « indignation morale ».
Cela n’aurait de sens que dans un rapport entre personnes libres de mettre de fin à leur relation.
Un tel accès de moralisme est donc hors de propos.
Un dérapage ?
Il y a là un « dérapage » analogue à celui de De Gaulle à Montréal en 1967 (« Vive le Québec libre ! »). Les naïfs mirent cette bévue au compte de la fatigue et l’âge du général (77 ans).
La comparaison est donc parfaite avec celle de Joe Biden en 2022.
Dans les deux cas, un chef d’État étranger proclame qu’on « assiste ici à l’avènement d’un peuple qui dans tous les domaines veut disposer de lui-même et prendre en main ses destinées. » » (Charles De Gaulle, Québec, le 23 juillet 1967). Quant à Joe Biden, alors que la Russie est en guerre contre l’Ukraine qu’il soutient, à Varsovie, capitale d’une Pologne qui a des frontières communes avec l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie (par Kaliningrad), il déclare que « Pour l’amour de Dieu, cet homme (Vladimir Poutine) ne peut pas rester au pouvoir ! ».
Dans les deux cas…
Ces présidents jouent consciemment des résonances de l’histoire…
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, et cette malencontreuse présidence de l’Union européenne dont il n’a su s’abstenir [1], nous voici embarqués dans un jeu débile pour adolescents risque-tout.
[1] La proximité des élections présidentielles françaises l’y invitait. Cette décision prise, la guerre changea la donne. Requis de parler pour toute l’Europe qui est l’otage des États-Unis, il a été empêché de parler spécifiquement pour la France.
Oublieux de notre propre fragilité, nous avons déclaré une guerre économique dont nous sortirons par des faillites en cascade et des vies ruinées bien au-delà de ce qui s’est passé en 2008.
Ensuite, renouvelant les enchevêtrements d’alliance qui ont conduit aux deux guerres mondiales, nous sommes devenus de fait des co-belligérants. Avec de l’aide humanitaire et des livraisons d’armes à l’Ukraine, sous prétexte d’aider sa courageuse résistance, nous prolongeons le supplice de ce pays déjà pauvre et déchiré avant cette guerre. Il n’en restera demain que des ruines.
« Bon calcul, diront les cyniques, pourvu que ça reste chez eux ! ».
Ainsi pensons-nous « à l’Ouest », surtout si c’est outre-Atlantique.
Le 1er mars, Bruno Le Maire déclarait que la France et l’Union européenne allaient « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », dans l’objectif assumé de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ». Qu’il soit revenu en arrière depuis en parlant diplomatiquement de « stratégie de désescalade », devrait sauver sa carrière mais ne trompera personne.
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Dans une guerre, tous les combattants sont des perdants (dans celle-ci, même si elle se termine vite et « bien », ce sera la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, les pays limitrophes, l’Europe) mais pas ceux qui les actionnent de loin.