Le matériau humaniste

La personne humaniste

Sceptique en matière de religion, l’humaniste est une personne de bonne compagnie, enjouée face aux vicissitudes de l’existence et de la politique.

Attachée aux savoirs éprouvés, elle vit en sage et se tient à distance des modes et passions du moment.

Elle a pour principe de s’y adapter sans les combattre.

Force d’inertie, elle ne leur résiste qu’à la manière d’un contrepoids.

Le parti humaniste

La fraction humaniste de la population joue donc en politique le rôle d’un stabilisateur.
Sa fonction naturelle est d’administrer, d’enseigner, de commenter, ce dont elle ne se prive pas : quand les circonstances s’y prêtent, elle aspire à conseiller.

Les tenants du changement la perçoivent comme rétrograde ou conservatrice.
Il est vrai qu’au lieu de bondir sur l’événement, elle veut d’abord l’observer pour mieux s’y adapter.

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La dette, trace dénaturée des réciprocités intimes

Depuis l’Antiquité, nous devrions savoir que la notion de « dette », comme tant d’autres, est caduque dès qu’on l’étend au-delà de l’instant et du proche. Pourtant, la tentation est grande de la projeter au-delà des réciprocités immédiates dont elle est une composante essentielle.
Pauvres et personnes éduquées sont bien conscients des perversités d’une telle extension, mais ils résistent « naïvement » à l’idée d’en nier le principe : il faut payer ses dettes.

Pourquoi ce principe est-il « naïf » ?

Parce que nous anticipons l’inconnu en y projetant du connu et que, pour décrypter les ignorances qui nous inquiètent, nous bricolons des hypothèses à partir de l’expérience acquise.
On ne saurait faire autrement mais voici le problème : si elles échouent, nous faisons de notre mieux pour les maintenir au prix de corrections qui en préservent l’essentiel.

Cet « essentiel », quel est-il ?

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Szafran à l’Orangerie, une expérience d’enfermement

Sam Szafran, cet homme menacé dans son enfance par la persécution nazie,
puis par la misère…
a trouvé spirituellement et socialement son salut dans l’art et les fraternisations du Montparnasse d’après-guerre.

Peut-être aurait-il aimé la liberté ?
Elle était hors de portée.
Il choisit donc…
la discipline des enfermements consentis, infiniment décrits et finalement aimés…

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Qui pense ? Le brave vieux « moi », croyez-vous ?

« En ce qui concerne la superstition du logicien, je ne me lasserai pas de souligner un petit fait bref que ces superstitieux répugnent à avouer, à savoir qu’une pensée vient quand elle veut, et non pas quand « je » veux ; c’est donc falsifier les faits que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ».

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Génération Alzheimer

Vieux frères et vieilles sœurs, nous sommes la part humaine de la mémoire du monde.

Les plus fragiles d’entre nous s’inquiètent de devenir Alzheimer mais nous, les plus solides, si nous ne transmettons rien…

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Ukraine – Jeux pervers

Sous la présidence d’Emmanuel Macron, et cette malencontreuse présidence de l’Union européenne dont il n’a su s’abstenir [1], nous voici embarqués dans un jeu débile pour adolescents risque-tout.

[1] La proximité des élections présidentielles françaises l’y invitait. Cette décision prise, la guerre changea la donne. Requis de parler pour toute l’Europe qui est l’otage des États-Unis, il a été empêché de parler spécifiquement pour la France.

Oublieux de notre propre fragilité, nous avons déclaré une guerre économique dont nous sortirons par des faillites en cascade et des vies ruinées bien au-delà de ce qui s’est passé en 2008.

Ensuite, renouvelant les enchevêtrements d’alliance qui ont conduit aux deux guerres mondiales, nous sommes devenus de fait des co-belligérants. Avec de l’aide humanitaire et des livraisons d’armes à l’Ukraine, sous prétexte d’aider sa courageuse résistance, nous prolongeons le supplice de ce pays déjà pauvre et déchiré avant cette guerre. Il n’en restera demain que des ruines.

« Bon calcul, diront les cyniques, pourvu que ça reste chez eux ! ».

Ainsi pensons-nous « à l’Ouest », surtout si c’est outre-Atlantique.

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Notre devoir d’être des garde-fous pour autrui

Olivier Maire – Emmanuel Abayisenga

Merci à Cécile Murray pour cet utile et touchant témoignage sur Emmanuel Abayisenga, cet immigré inconnu (comme le soldat du même nom) avant que, lamentablement, il s’affuble des qualificatifs indélébiles d’incendiaire et d’assassin.

Les traumatismes personnels et la destruction des entourages rendent fou. Nous produisons de tels fous, tous les jours dans les pays que nous martyrisons, en quantité industrielle comme les armes dont nous faisons parade.

Ces victimes, notre but n’a jamais été de les sauver mais de nous en débarrasser. Quelques rescapés abordent à nos rives mais – fous d’ailleurs ou d’ici – c’est pareil : nous ne savons qu’en faire. Les exigences de la vie « normée » (celle que l’on prétend « normale ») ne sont pas faites pour les grands blessés ni les handicapés, physiques ou psychiatriques.

Faire ou pas faire quelque chose pour eux ? Si l’insertion semble à portée, c’est un pari qu’on peut tenter. Au-delà, on entre dans l’inhumain.

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Au delà du dépassement des conflits

Les histoires intéressantes ou importantes portent toutes sur le dépassement d’un conflit ou d’une opposition qui, pendant l’aventure, devient structurante, créatrice d’« identités ».

Deux lectures recommandées pour approfondir ce thème…

  • Sur la question « Comment des groupes humains se constituent en société ? » : Maurice Godelier. Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie. Albin-Michel 2007. 296 p.
  • Sur la construction d’histoires : Robert McKee. Story. Contenu, structure, genre. Les principes de l’écriture d’un scénario. Dixit Esra. 2009 416 p.

Mais c’est le « et après ? » qui m’importe.

Après, c’est la fin de l’histoire

  • du conte de fées (ils se marièrent, furent heureux et eurent beaucoup d’enfants),
  • de l’ennemi ou de la guerre (victoire décisive, communauté européenne, Francis Fukuyama),
  • ou la réussite (généralement posthume) de l’artiste, du chercheur ou de l’entrepreneur.

Fin de l’histoire, donc du conflit, donc des héros, effacement des personnages, délitement de la famille, de l’entreprise, du peuple.

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Michel Laurent Dioptaz (l’ami Laurent)

22 ans

[Ma déclaration lors de ses obsèques, le 16 juillet 2013]

Il y a d’abord le bel homme, le bon géant aux larges épaules, le Laurent que j’ai découvert il y a 45 ans ‐ nous avions à peu près 22 ans l’un et l’autre ‐ « Laurent » puisque c’est ainsi qu’il s’était présenté et que je l’ai toujours appelé : Michel Laurent Dioptaz.
D’autres l’ont connu différemment.
Je vous parlerai, moi, de Laurent dans le souffle de la parole puisque je suis un homme de langage et qu’il était un bavard intarissable (moi aussi), ce Laurent que j’ai aimé, vif‐esprit, très inventif et toujours aimable.

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Team management by mutual devotion

Team management is a multidimensional task. Some parts are beyond your control.
However, on the human side, your influence may be decisive.
Here is the best you can do…

To manage your team by mutual devotion

Strange idea in a professional context, isn’t it?
However so obvious!
In order to achieve  “mutual devotion”…

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La possibilité du Nous

Je retrouve ce texte publié le 20 mai 2013 sur Notionis, mon blog précédent…
Texte d’inspiration, ligne de conduite sous-jacente à tout ce que je fais ou cherche, mots oubliés redécouverts, surprenants comme s’ils me venaient aujourd’hui en commentaire aux débats et questions du moment…

La possibilité du Nous

Nous ne sommes pas un parti, ni un groupe, ni un camp, ni une coterie car il n’y a pas de Contre qui puisse nous définir. Et pourtant j’écris Nous alors qu’à cet instant je suis seul à écrire.

Alors pourquoi ?

J’écris Nous parce qu’on ne pense pas seul et qu’il n’est rien que l’on puisse dire à soi. Ce sont les autres qui décident.

Parce que la pensée ne vaut qu’à éclairer l’action et que l’action qui vaut est collective.

Parce qu’ainsi le Nous est déjà là, au cœur même du Je qui pense et qui agit, un Nous en devenir constant.

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Féminicides

Oui, c’est l’horreur mais, pour ne pas former de guerriers au foyer, il ne faut pas non plus faire de guerre aux frontières.
Or on veut l’un et fait l’autre.

Protester au nom des femmes, c’est bien, mais voyons au-delà. Ce n’est qu’un début, continuons le…

Pas « le combat » tout de même !
Il est temps d’inventer de nouvelles façons de faire et refaire société.

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Vivre et mourir de l’inégalité (les souvenirs d’enfance d’Alexandre Herzen)

Alexandre Ivanovitch Herzen (1812-1870) est le plus marquant des socialistes russes. D’origine aristocratique, il fut constamment suspecté sous Nicolas Ier et condamné à l’exil à partir de 1847. Son errance en France, en Italie, en Suisse et finalement à Londres, lui fit côtoyer les progressistes et activistes du moment.

L’échec de la révolution de 1848 et des mouvements armés associés (Pologne, Italie…) le conduisit à s’élever contre l’aventurisme (Bakounine, Herwegh) et le projet de dictature du prolétariat formulé par Marx et Engels.

Son refus de l’ordre existant était essentiellement moral, donc non-violent. Essayiste et publiciste, proche idéologiquement de Saint-Simon et Fourier, il collabora un moment avec Proudhon, puis concentra ses efforts sur la Russie (abolition du servage) en se prononçant pour un socialisme libertaire qui se développerait à partir de la commune rurale traditionnelle (mir).

Herzen influencera tous les penseurs russes non-violents du XIXe et du XXe siècle, à commencer par Tolstoï et Dostoïevski.

Journaliste d’opinion, convaincu que ses idées avaient leur source dans son expérience, il fut aussi un mémorialiste très admiré ainsi qu’un émouvant conteur. On peut en juger dans l’extrait ci-dessous du premier volume de « Passé et Méditations » (Byloie i Doumy), un recueil qui va de l’enfance à 1868.

Alexandre Herzen. Passé et Méditations (Byloie i Doumy)
Présenté, traduit et commenté par Daria Olivier.
Éditions L’Âge d’Homme (1974. 470 p.)
Ch. II. pp. 57-72.

[Cet ouvrage est malheureusement épuisé. Pourtant, il touche tous les lecteurs capables d’entrer dans un « grand roman », particulièrement ceux qui perçoivent combien le XIX° siècle éclaire notre temps. Avis aux éditeurs : le Passé et méditations d’Alexandre Herzen mérite une édition en poche ou dans LA COLLECTION BOUQUINS.

Des intertitres ont été introduits sur ce blog.]

Il y a là un témoignage intime sur la vie d’une famille moscovite sous Alexandre Ier. On y voit ce que les extrêmes inégalités font aux personnes, maîtres et serfs domestiques en l’occurrence. C’est touchant, juste, sensible et révoltant.

Pourquoi lire Herzen aujourd’hui ?

Pour sentir au plus nu.
C’est vital parce que l’histoire va en spirale.
Les gilets jaunes, sans-papiers, réfugiés, clochards et handicapés d’aujourd’hui n’ont pas le statut des serfs de la vieille Russie, c’est vrai, mais ils sont le nom pour nous des inégalités et, plus que jamais, nous les voyons.

Ces inégalités, des chiffres les mesurent, des images les exposent et, à chaque instant, la même question se pose : jusqu’où ?
Ça craque de partout, la fragilité systémique du monde contemporain saute aux yeux.
Sous le regard de l’enfant Herzen, c’était celle de l’empire. Nous savons ce qu’il est devenu…

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Sagesse de Notre-Dame

Ce soir-là, François Cheng fut pour nous le Sage qui, dans l’assemblée respectueuse que porte un sentiment commun, reçoit la parole qu’on lui rend et, tout en mots et en silence exacts, donne enfin voix à ce qui est : voix de la grande mémoire, de la grande émotion, de la grande unité.

Notre-Dame et Victor Hugo, banalisés depuis toujours, nous les connaissions trop et c’est pourquoi, ce soir-là, nous errions dans les espaces inusuels du mythe et de la haute poétique.

Bénie soit la France qui a su accueillir en son sein ce sage d’un autre monde et faire place à François Cheng, ce vieil érudit chinois, pour qu’il nous dise ce qui, dans l’ordinaire des vies intéressées, nous dépasse et nous manque.N.B. Le nom d’auteur de François Cheng en chinois, Chéng Bàoyī  : 程抱一 signifie « Qui embrasse l’Unité ».

La compassion ? Oui, mais ce n’est pas une excuse

« Angoisse de vie ? » interroge un lecteur de ce blog.
Quand je cherche en moi ce qui pourrait me tenailler, je vois deux élans, deux forces.

La première, pour la dire en un mot, serait la compassion à laquelle le mot d’ordre « dépasser les conflits inutiles et réduire les souffrances évitables » donne une forme active.

La seconde est la curiosité, qui est désir et joie de comprendre avec, par en dessous, la souffrance, si violemment ressentie dans le passé mais si fréquemment rencontrée aussi, même aujourd’hui, de ne pas avoir vu à temps, de ne pas avoir compris quand il était encore possible d’agir, de me découvrir avoir été et être encore complice du malheur du monde avec, par dessus, la colère de m’être « fait avoir ».

Deux faces en somme d’une même expérience : ne craignant pas pour moi, je suis sensible au malheur d’autrui et, sinon, ce qui est plus commun, j’ai simplement plaisir à interagir avec mes semblables. Continuer la lecture de « La compassion ? Oui, mais ce n’est pas une excuse »