La chaine YouTube TROUBLE FAIT que je découvre (alors qu’elle existe depuis 2015) est excellente. Clarté d’esprit et d’exposé, organisation des arguments, pertinence des illustrations et des chiffres, légèreté du ton et fermeté des idées, tout y est.
Il y a un gros travail derrière, sérieux et vérifiable : le lien PLUS en-dessous de chaque vidéo donne accès à une « table des séquences » et à des liens vers les « sources », ce qui permet de sélectionner les séquences et arguments qu’on veut examiner en détail.
Sous le lien suivant, l’estimable Robert Reich montre que, face à des fauteurs de troubles comme Kanye West, Donald Trump et quelques autres, le public ne peut compter…
sur les géants médiatiques pour être socialement responsables,
pas plus que sur le droit (tranché aux USA par la Cour suprême) qui ne peut traiter ces géants que comme des gestionnaires de flux chargés d’un service public analogue aux autoroutes, donc non responsables de ce que leurs usagers font circuler ou des accidents qu’ils produisent,
et pas non plus sur l’appareil politique lui-même (gouvernement et élus) qui, toujours insécure et divisé, dépend de l’argent et des médias.
La boucle est bouclée. Le pouvoir détenu par les géants du numérique est incompatible avec les besoins de la société. La seule solution est de réactiver les lois anti-trust et de briser ces géants.
Aussi forte qu’elle paraisse, cette argumentation a deux faiblesses…
« En ce qui concerne la superstition du logicien, je ne me lasserai pas de souligner un petit fait bref que ces superstitieux répugnent à avouer, à savoir qu’une pensée vient quand elle veut, et non pas quand « je » veux ; c’est donc falsifier les faits que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ».
Lorsque Sieyès en 1789 observe que « nous sommes forcés de ne voir, dans la plus grande partie des hommes, que des machines de travail », il le fait en parfaite continuité avec « les pères fondateurs » (dans notre tradition) de l’idée de « démocratie ». À Athènes, la décision politique est débattue directement entre les seuls citoyens, c’est-à-dire entre ceux qui, statutairement et matériellement libérés des contraintes quotidiennes par le travail des esclaves, sont ouverts à la connaissance et aptes à l’exprimer.
Barbara Ehrenreich vient de mourir à 81 ans. Généreuse militante, chroniqueuse originale et profonde, ceux qui rapportent sa mort mettent l’accent sur les grandes causes (femmes, inégalités, politiques de santé, idéologies de la classe moyenne…) auxquelles son nom est désormais attaché.
Depuis, je ne cesse de me référer à Barbara Ehrenreich…
Toutes nos traditions, toutes nos institutions, toutes nos croyances, portent la marque de l’effroi ressenti par nos ancêtres archaïques devant les prédateurs souverains face auxquels l’humanité, pour survivre, a dû s’imaginer.
35 millions de personnes déplacées, des milliers de morts, la destruction massive des champs et du bétail, la famine et les épidémies à venir, ne seront pas surmontées sans repenser profondément les systèmes mis en avant par les « pays du Nord ». Comme partout ailleurs, le jeu de la dette a enrichi les élites locales pour les asservir aux intérêts des États-Unis pendant la guerre froide, puis la guerre au terrorisme. C’est ensuite aux pauvres qu’on demande de rembourser cette dette dans le cadre du plan d’austérité imposé par le Fonds Monétaire International. Le Pakistan est aux abois.
Puissances et puissants n’oublieront certes pas qu’il détient l’arme atomique. Leurs intentions ne bénéficieront donc durablement qu’aux affairistes de l’aristocratie, de l’immobilier et de l’armée.
Voyons plutôt qu’une catastrophe de cette ampleur peut donner le départ à l’élaboration collective d’un ordre international alternatif qui traiterait sérieusement des questions posées par l’histoire mondiale des injustices, de l’impérialisme et du capitalisme. Une telle perspective associerait les initiatives de ceux qui, au Nord de la planète, combattent le militarisme, le nationalisme et l’addiction aux énergies fossiles, avec celles de ceux qui, au Sud, combattent l’exploitation par les élites locales, les pays étrangers, et les institutions financières internationales.
En d’autres termes, plutôt que de s’en tenir à de très limitées et temporaires initiatives humanitaires, il est ici question de prendre appui sur les contradictions du présent pour imaginer et construire un autre avenir pour tous, qui soit durable, solidaire et audacieux.
Une « eunomie » (« bon ordre ») internationale aurait dit Solon.
Radio France engage un tournant environnemental : « NOUS NOUS TENONS RESOLUMENT DU COTE DE LA SCIENCE, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres. »
[Voir infra le Manifeste de radio France]
Je suis content de découvrir cette déclaration de politique éditoriale, elle a le mérite d’être claire et idéologiquement cohérente. Ailleurs, dans d’autres médias, on tient d’autres propos, l’on promeut d’autres croyances et se donne d’autres priorités. De telles « politiques » restent souvent implicites. Des initiés, le cas échéant, les affinent, les font évoluer mais leur « cela va sans dire » suffit pour manager une équipe rédactionnelle sans que le tribunal de l’opinion s’en saisisse.. Mérite additionnel de cette solution : elle permet de maintenir la fiction de l’indépendance des journalistes à l’égard des propriétaires du journal.
Donc merci à Radio France, chaîne de service public, d’exister et de faire connaître ses choix éditoriaux.
Ce parti pris de se situer « du côté de la science » est assez proche du mien pour que je continue à m’intéresser aux productions de Radio France.
En revanche, l’idée de « sortir la crise climatique du champ du débat » est une erreur, et ceci pour trois raisons : politique, scientifique et cognitive…
Dans un discours international en tant que Chef d’État, Biden a proclamé son « indignation morale ».
Cela n’aurait de sens que dans un rapport entre personnes libres de mettre de fin à leur relation.
Un tel accès de moralisme est donc hors de propos.
Un dérapage ?
Il y a là un « dérapage » analogue à celui de De Gaulle à Montréal en 1967 (« Vive le Québec libre ! »). Les naïfs mirent cette bévue au compte de la fatigue et l’âge du général (77 ans).
La comparaison est donc parfaite avec celle de Joe Biden en 2022.
Dans les deux cas, un chef d’État étranger proclame qu’on « assiste ici à l’avènement d’un peuple qui dans tous les domaines veut disposer de lui-même et prendre en main ses destinées. » » (Charles De Gaulle, Québec, le 23 juillet 1967). Quant à Joe Biden, alors que la Russie est en guerre contre l’Ukraine qu’il soutient, à Varsovie, capitale d’une Pologne qui a des frontières communes avec l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie (par Kaliningrad), il déclare que « Pour l’amour de Dieu, cet homme (Vladimir Poutine) ne peut pas rester au pouvoir ! ».
Dans les deux cas…
Ces présidents jouent consciemment des résonances de l’histoire…
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, et cette malencontreuse présidence de l’Union européenne dont il n’a su s’abstenir [1], nous voici embarqués dans un jeu débile pour adolescents risque-tout.
[1] La proximité des élections présidentielles françaises l’y invitait. Cette décision prise, la guerre changea la donne. Requis de parler pour toute l’Europe qui est l’otage des États-Unis, il a été empêché de parler spécifiquement pour la France.
Oublieux de notre propre fragilité, nous avons déclaré une guerre économique dont nous sortirons par des faillites en cascade et des vies ruinées bien au-delà de ce qui s’est passé en 2008.
Ensuite, renouvelant les enchevêtrements d’alliance qui ont conduit aux deux guerres mondiales, nous sommes devenus de fait des co-belligérants. Avec de l’aide humanitaire et des livraisons d’armes à l’Ukraine, sous prétexte d’aider sa courageuse résistance, nous prolongeons le supplice de ce pays déjà pauvre et déchiré avant cette guerre. Il n’en restera demain que des ruines.
« Bon calcul, diront les cyniques, pourvu que ça reste chez eux ! ».
Ainsi pensons-nous « à l’Ouest », surtout si c’est outre-Atlantique.
Le 1er mars, Bruno Le Maire déclarait que la France et l’Union européenne allaient « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », dans l’objectif assumé de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ». Qu’il soit revenu en arrière depuis en parlant diplomatiquement de « stratégie de désescalade », devrait sauver sa carrière mais ne trompera personne.
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Dans une guerre, tous les combattants sont des perdants (dans celle-ci, même si elle se termine vite et « bien », ce sera la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, les pays limitrophes, l’Europe) mais pas ceux qui les actionnent de loin.
Napoléon fut un désastre pour la France et l’Europe. Je suis donc fermement opposé à l’idée de le célébrer à l’occasion du deux-centième anniversaire de sa mort en exil. Plutôt que de commémorer l’exil de ce criminel, c’est la guerre elle-même qu’il nous faut exiler.
Exilons l’arche de la guerre
L’Arc de Triomphe fut élevé pour consoler les Français bellicistes des défaites et des guerres désastreuses que les aventures napoléoniennes ont entraînées. Maintenant que l’Arc de la Honte est emballé, j’attends des déménageurs qu’ils terminent le travail et emportent ce monument pervers.
Les traumatismes personnels et la destruction des entourages rendent fou. Nous produisons de tels fous, tous les jours dans les pays que nous martyrisons, en quantité industrielle comme les armes dont nous faisons parade.
Ces victimes, notre but n’a jamais été de les sauver mais de nous en débarrasser. Quelques rescapés abordent à nos rives mais – fous d’ailleurs ou d’ici – c’est pareil : nous ne savons qu’en faire. Les exigences de la vie « normée » (celle que l’on prétend « normale ») ne sont pas faites pour les grands blessés ni les handicapés, physiques ou psychiatriques.
Faire ou pas faire quelque chose pour eux ? Si l’insertion semble à portée, c’est un pari qu’on peut tenter. Au-delà, on entre dans l’inhumain.
Here is a modest, clever and spectacular contribution to the opening of minds.
In the course (2016) of this (42-minute) BBC program (Global philosopher), Michael Sandel (Harvard) asks 60 educated young people from 30 countries to speak out on various climate change issues.
Technically, it is difficult to do better.
As for the content, it is exemplary (there is a debate) and educational (presentation of the problem and of some ideas).
However, do not expect anything in terms of action (we are not here for that)… The professional philosopher concludes with a pro domo plea: let’s keep thinking!
So why should we care about this little media masterpiece?
Voici une modeste, astucieuse et spectaculaire contribution à l’ouverture des esprits.
Au cours (2016) de cette émission (42 minutes) de la BBC (Global philosopher), Michael Sandel (Harvard) demande à 60 personnes (jeunes éduqués) venant de 30 pays de s’exprimer sur diverses questions relatives au changement climatique.
Techniquement, il est difficile de faire mieux.
Quant au contenu, c’est exemplaire (il y a débat) et pédagogique (présentation du problème et de quelques idées).
N’en attendez cependant rien pour l’action (on n’est pas là pour ça)… Le philosophe professionnel conclut par un plaidoyer pro domo : continuons à réfléchir !
Alors, pourquoi s’intéresser à ce petit chef-d’œuvre médiatique ?
Les histoires intéressantes ou importantes portent toutes sur le dépassement d’un conflit ou d’une opposition qui, pendant l’aventure, devient structurante, créatrice d’« identités ».
Deux lectures recommandées pour approfondir ce thème…
Sur la question « Comment des groupes humains se constituent en société ? » : Maurice Godelier. Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie. Albin-Michel 2007. 296 p.
Sur la construction d’histoires : Robert McKee. Story. Contenu, structure, genre. Les principes de l’écriture d’un scénario. Dixit Esra. 2009 416 p.
Mais c’est le « et après ? » qui m’importe.
Après, c’est la fin de l’histoire…
du conte de fées (ils se marièrent, furent heureux et eurent beaucoup d’enfants),
de l’ennemi ou de la guerre (victoire décisive, communauté européenne, Francis Fukuyama),
ou la réussite (généralement posthume) de l’artiste, du chercheur ou de l’entrepreneur.
Fin de l’histoire, donc du conflit, donc des héros, effacement des personnages, délitement de la famille, de l’entreprise, du peuple.
Ce qu’ils ont écrit et pensé mérite l’intérêt des Convivialistes et le mien : sur une trajectoire fraternelle, ils ont été et seront encore demain magnifiquement créatifs et sources d’inspiration.