Notre devoir d’être des garde-fous pour autrui

Olivier Maire – Emmanuel Abayisenga

Merci à Cécile Murray pour cet utile et touchant témoignage sur Emmanuel Abayisenga, cet immigré inconnu (comme le soldat du même nom) avant que, lamentablement, il s’affuble des qualificatifs indélébiles d’incendiaire et d’assassin.

Les traumatismes personnels et la destruction des entourages rendent fou. Nous produisons de tels fous, tous les jours dans les pays que nous martyrisons, en quantité industrielle comme les armes dont nous faisons parade.

Ces victimes, notre but n’a jamais été de les sauver mais de nous en débarrasser. Quelques rescapés abordent à nos rives mais – fous d’ailleurs ou d’ici – c’est pareil : nous ne savons qu’en faire. Les exigences de la vie « normée » (celle que l’on prétend « normale ») ne sont pas faites pour les grands blessés ni les handicapés, physiques ou psychiatriques.

Faire ou pas faire quelque chose pour eux ? Si l’insertion semble à portée, c’est un pari qu’on peut tenter. Au-delà, on entre dans l’inhumain.

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L’ostracisme, un vice démocratique

L’ostracisme est aujourd’hui manifeste un peu partout. Dans les vieilles « démocraties », il choque plus qu’ailleurs parce qu’on l’y croit contraire aux valeurs fondatrices.
C’est faux.

Pour deux raisons…
La première est que les « démocraties » existantes sont d’abord des « républiques aristocratiques », c’est-à-dire des territoires, des ressources et des populations sous la gouverne d’une « élite » auto-instituée vouée à la préservation de ses intérêts collectifs.
La seconde est que cette élite contrôle la « Cité » en s’alliant « le peuple » au nom duquel, « démocratiquement », elle gouverne. Encore faut-il donner à ce peuple cette apparence de souveraineté qui permet, au « great American people » par exemple (insister sur « great »), d’en déléguer l’exercice à l’élite qui prétend le représenter.  Les procédures électorales et le dispositif constitutionnel sont ici doublés d’une coalescence entre un petit nombre de « dirigeants charismatiques » et « la foule ». Celle-ci, manipulable et méprisée, crainte et souvent misérable, ne tient comme « peuple » (remplissant sa fonction conservatrice) qu’à condition de réactiver périodiquement la distinction nous vs eux qui la fait consister, malgré sa diversité objective et ses dissensions internes.

Fragile alliance donc qu’un échec ou une crise suffisent à mettre en cause. D’où la nécessité où se trouvent les gouvernants insécures de se doter d’une politique d’ostracisme externe (l’ennemi, héréditaire ou cisconstanciel) et interne (les « moins que rien » qui tirent de la Cité des avantages indus). Continuer la lecture de « L’ostracisme, un vice démocratique »

Jamais un scandale n’abolit l’esclavage (Rome 326 av. J.-C.)

Mohamed Bouazizi

On se souvient de Mohamed Bouazizi, ce jeune vendeur tunisien dont l’immolation en 2010 parut déclencher le printemps arabe.
Nous savons aujourd’hui la part de mythe qui s’est logée dans cette histoire et c’est pour elle qu’on la raconte encore. Pour protéger, non « la révolution » mais les acquis : le nouvel « ordre » et surtout les désordres dont il est l’alibi.

Les victimes innocentes, ordinairement on les oublie.
Il n’y a donc pas de scandale innocent.
Ceux qui changent l’ordre établi sont orchestrés par de grands intérêts.

Ce mécanisme est de toujours. Continuer la lecture de « Jamais un scandale n’abolit l’esclavage (Rome 326 av. J.-C.) »

Esclavage pour dette (Égypte 592 av. J.-C.)

Assiette exposée au Musée du Louvre, accompagnée de la notice que voici :

Contrat d’engagement pour dette, en démotique
592 av. J.-C. (an 4 de Psammétique II, 26° dynastie)
B
ol en terre cuite

«… Je suis satisfaite de l’argent pour lequel je deviens ta servante. Je suis ta servante… Je ne pourrai plus me considérer comme une personne privée indépendante vis-à-vis de toi, jusqu’à ce que je t’aie remboursé tout argent, tout grain, toute autre chose au monde, avec les enfants qui naîtront de moi, avec tout ce qui m’appartient et tout ce que je vais produire, avec les vêtements que je porte sur le dos… »
(traduction d’après B Menu.)

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Nous sommes des proies depuis toujours

Bloodrites07La dénonciation que je viens de faire de l’idéologie sacrificielle m’incite à rééditer le présent article, précédemment publié en juillet 2012. C’est un compte rendu, synthétique d’abord puis détaillé, d’un livre magistral :
Barbara Ehrenreich. Blood Rites. The Origins and History of the Passions of War. USA 1997. Metropolitan Books. UK 2001 Granta Books, 270 p.
(Trad. française : Le sacre de la guerre. Essai sur les passions du sang. Calmann-Levy 1997, 281 p. et 1999, 328 p.)
Sa documentation est désormais un peu ancienne. Elle gagnerait à être complétée et nuancée par les derniers travaux des anthropologues. Tout suggère que cela ne saurait changer le cœur de son argumentation.


Barbara Ehrenreich part d’une évidence négligée : si l’homme est un prédateur, ses ancêtres – les nôtres – étaient des proies. Cette expérience « préhistorique » de deux à trois millions d’années pèse lourd par rapport aux 5.000 ans d’histoire humaine pendant lesquels la guerre est devenue le premier des prédateurs que nous ayons à craindre. Continuer la lecture de « Nous sommes des proies depuis toujours »